Deux
femmes, deux styles, deux options. L'une offre sa maison, l'autre
son écoute. L'une invite le Christ à manger, l'autre se laisse inviter
au dialogue.
N'allons
pas croire que Jésus avait des préférences toutes faites : dans
l'Évangile de Jean, c'est Marthe, au contraire, qui est la première
nommée : "Jésus aimait Marthe, et sa sœur, et Lazare", et c'est Marthe,
la Marthe au franc parler, qui méritera par sa profession de foi
d'entendre cette magnifique révélation du Seigneur : "Je suis la
résurrection et la vie".
Mais
ce jour-là dont nous parle saint Luc, Marthe a eu deux attitudes que
Jésus ne pouvait approuver : Elle se laissait absorber par la presse de
sa maison, et son dévouement la rendait agressive. Servir, oui, tant
qu'on voulait ; mais il aurait fallu que la sœur obtempère et rentre
elle aussi dans le circuit : "Seigneur, cela ne te fait rien qu'elle me
laisse seule pour faire le service ?" Ou, en d'autres termes :
"Seigneur, cela ne te ferait rien de rester seul un instant ? Si tu la
retiens, elle n'aura pas fait sa part !"
L'attention
aux choses avant l'attention à Dieu, le rendement tangible avant la
gratuité, l'égalitarisme au lieu de la compréhension fraternelle : nous
voilà aux antipodes de l'Évangile. Et à cette femme, son amie, qui se
laisse dévorer par le souci, Jésus va parler d'unité intérieure :
"Marthe, Marthe, une seule chose suffit, quand on a choisi l'essentiel."
Vingt
siècles après, on perpétue encore la brouille des deux sœurs. On
continue de les opposer, comme pour y voir plus clair. On dira, par
exemple : "Il y a des Marthe, il y a des Marie. À chacune son lot. Que
chacune rende grâces !"
Ou l'on se demandera : "Suis-je Marthe, ou suis-je Marie ?"
Ou
bien encore on se résignera à les accueillir successivement : "Pour
l'instant je suis Marthe, du mieux que je peux. Un jour, quand je
pourrai, je serai Marie."
Mais
pouvons-nous attendre pour choisir la meilleure part ? Et les deux
sœurs, Marthe et Marie, ne devraient-elles pas se retrouver en nous côte
à côte à chaque heure de notre vie ? Ne sont-elles pas deux niveaux
d'une même fidélité, deux visages d'un unique amour du Seigneur ?
Toutes
nos œuvres seront creuses et décevantes sans la gratuité de Marie ; et
nos visées contemplatives ne seront que leurre sans le réalisme de
Marthe. Comme disait la grande Thérèse, commentant dans sa cinquième
Exclamation cet épisode de la visite de Jésus : "Seul l'amour donne du
prix aux choses, et l'unique nécessaire est d'aimer au point que rien
n'empêche d'aimer."
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