Pour
une fois l'Évangile nous rapporte la réaction d'une femme à la
prédication de Jésus. Elle élève la voix du milieu de la foule et
s'écrie : "Bienheureuse celle qui t'a porté et allaité !"
La
femme ne réagit pas d'abord à propos du contenu de l'enseignement de
Jésus ; elle ne dit pas non plus ce qui l'a frappée dans sa personne,
mais elle se compare instinctivement à une autre femme, à cette mère qui
a eu la chance d'enfanter puis d'élever un tel fils : "Qu'elle peut
être fière, cette femme-là, d'avoir un garçon comme toi !"
Réaction
maladroite ? Réaction naïve ? Peut-être, mais c'est la réaction
profondément humaine d'une femme pour qui chaque maternité est le début
d'un grand rêve, et qui réalise sa vie à travers le destin de ses
enfants.
Jésus,
bien loin de repousser cette brave femme, saisit au bond ce qu'elle
vient de crier, et il va s'en servir pour préciser une fois de plus le
sens de sa mission, en apportant deux correctifs importants.
Tout d'abord le bonheur qu'il apporte n'est pas réservé à une femme, mais ouvert à tous les croyants.
Le
secret de sa naissance, l'initiative inouïe prise par Dieu dans la vie
de Marie, les merveilleuses années de Nazareth, ce n'est pas cela que
Jésus veut souligner, car c'est le versant admirable et indicible de la
vie de Marie. Ce que la femme a crié, bien des femmes sans doute le
pensaient, mais ce n'est pas ainsi que Jésus se représentait la sainteté
et le bonheur de sa propre Mère.
Certes
le destin de Marie était exceptionnel. La Mère du Messie ne pouvait
être qu'unique ; la Mère du Fils de Dieu ne pouvait être qu'une femme
intensément aimée, éternellement choisie, amoureusement préparée. Mais
cela, c'était l'affaire de Dieu seul, c'était le sillage laissé sur la
terre des hommes par le dessein de Dieu. Ce que Jésus avait à cœur à
propos de sa Mère, c'était de mettre en lumière non pas tant l'inouï de
son destin que la qualité de sa réponse à Dieu. Marie a porté et nourri
Jésus : en cela elle n'est pas imitable, et sa béatitude n'est pas
partageable. Mais ce qu'il y a de quotidien et d'imitable dans
l'attitude de Marie, voilà ce que Jésus veut retenir pour
l'universaliser : "Heureux ceux, heureux tous ceux qui entendent la
parole de Dieu et qui la gardent !"
C'est
encore un portrait de sa Mère, mais c'est celui-là que Jésus préfère,
car devant cette attitude de la Servante du Seigneur repassant en son
cœur les paroles de Dieu jusqu'à ce qu'elles s'accomplissent, chaque
fils, chaque fille de Dieu peut se dire : "Je peux lui ressembler, je
vais lui ressembler" ; et cette icône-là, celle que Jésus avait dans les
yeux et le cœur, garde avec nous tous un air de famille.
Au
fond, la femme, dans la foule, ne se trompait pas en passant du Fils à
la Mère, en liant la Mère au destin de son Fils ; mais elle se méprenait
sur le niveau du vrai bonheur et sur la vraie source des Béatitudes, et
c'est là que Jésus apporte une deuxième nuance, essentielle à ses yeux.
Le
vrai bonheur de Marie, son bonheur imitable, ne se situe pas au niveau
des affections familiales ; ce n'est donc pas une question de chance ni
de fierté. Et la vraie source des Béatitudes, pour elle comme pour nous,
c'est l'accueil de la parole de Jésus, et non le sentiment de sa
proximité.
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