lundi 1 octobre 2018


Charles Aznavour dans la légende

L’immense artiste est mort dans la nuit du dimanche 30 septembre au lundi 1er octobre à 94 ans sans atteindre le siècle de carrière qu’il disait viser par boutade.
Chanteur et compositeur, comédien et diplomate, mû par une irrépressible soif de reconnaissance, Charles Aznavour a inscrit son œuvre dans la mémoire collective.

Charles Aznavour, le 14 décembre 2013, lors d’un concert à Amsterdam.
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Charles Aznavour, le 14 décembre 2013, lors d’un concert à Amsterdam. / KOEN VAN WEEL/AFP
Entendant pour la première fois la voix de Charles Aznavour, plusieurs professeurs de musique lui avaient déconseillé de chanter à cause de son timbre voilé. À l’époque où les chanteurs beaux gosses, comme Yves Montand tenaient le haut du pavé, son visage banal, sa petite taille (1,64 mètre), ses gestes saccadés, lui avaient valu ce commentaire sans appel de Piaf : « Tu ne feras jamais rien avec tes chansons » (que la môme chantait elle-même, en revanche !). Avec un simple certificat d’études, son éducation ne lui offrait aucun prestige intellectuel. Ses origines arméniennes ne pouvaient lui ouvrir aucune porte. Son mauvais caractère, sa réputation de râleur, risquaient de lui coûter cher dans le show-biz où la connivence est de mise.
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Et pourtant, Charles Aznavour s’est forgé un destin de légende. Peut être parce que rien ne lui était dû, que rien n’a été facile. L’artiste disparu le 1er octobre à 94 ans, a été sacré « plus grand chanteur du XXe siècle » (devant Frank Sinatra ou Elvis Presley…) selon un palmarès établi en 1998 par CNN et Time Magazine. Il a son étoile sur Hollywood Boulevard. Il est le seul Français sur le prestigieux « Songwriters Hall of Fame ». Son millier de chansons, ses dizaines d’albums, ses inlassables tournées, ses 180 millions de disques vendus, ses 60 rôles dans des films et son incroyable longévité en font un géant, sans égal. Quant à ses titres phares, de La Bohème à Emmenez-moi, de J’voyais déjà à Comme ils disent, ils se sont inscrits dans la mémoire collective.

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« Il sera peut-être temps de me reposer dans mes Alpilles, parmi mes oliviers »

«Profondément français, attaché viscéralement à ses racines arméniennes, reconnu dans le monde entier, Charles Aznavour aura accompagné les joies et les peines de trois générations», a tweeté Emmanuel Macron à l’annonce de sa mort, rappelant qu'il avait convié le chanteur à l'accompagner lors de son déplacement prévu en Arménie début octobre. Décédé dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre dans sa maison en Provence, Charles Aznavour revenait d’une tournée au Japon. Il a chanté jusqu’à son dernier souffle. Son hypothétique retraite avait même fini par devenir proverbiale : « faire ses adieux comme Charles Aznavour », c’est-à-dire ne jamais quitter le paysage. Lui-même évoquait mille projets susceptibles de l’occuper jusqu’à ses 120 ans. « Après, ajoutait-il, il sera peut-être temps de me reposer dans mes Alpilles, parmi mes oliviers ».
Charles Aznavour aimait évoquer le « miracle du métier », qui lui permettait de tenir en scène, même malade, même exténué, toujours avec autant d’allégresse. Quel était-il, au juste, ce « miracle » qui lui donnait encore l’énergie de construire, à plus de 90 ans, des récitals de deux heures sans interruption, voix impeccable, debout, dansant, se moquant lui-même de ses trous de mémoire qu’il avait fini par dompter en installant des prompteurs sur scène, qu’il assumait : « J’ai un cerveau toujours alerte qui me permet chaque jour de me cultiver, expliquait-il à son public, pourquoi voulez-vous que je l’encombre de choses que je connais déjà ? »
Photo non datée du chanteur Charles Aznavour./AFP
Photo non datée du chanteur Charles Aznavour. / AFP
Il se rendait encore régulièrement « au boulot », dans la maison d’édition phonographique créée en 1933 par Raoul Breton, qui lança un autre Charles, son ami Trenet. Il l’avait rachetée en 1995. Dans ses locaux du 17e arrondissement de Paris, il avait son bureau, « parrainait » de jeunes artistes dans lesquels il croyait, de Lynda Lemay à Kendji Girac, et signait consciencieusement ses autographes, entouré de murs présentant des photos de ses amis : Trenet donc, « Édith », qui l’avait fait connaître, Frank Sinatra, Placido Domingo… Toute une vie en sépia.
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Dans ce bureau trônait aussi un étonnant diplôme : un prix de la meilleure chanson country ! Une fierté : « obtenu à Nashville. Ce n’est pas donné à tout le monde », se targuait-il. Derrière cette phrase, l’un de ses traits de caractère et de ses moteurs : le besoin de reconnaissance. Une marque de ce self-made-man « devenu artiste en frappant sur l’enclume », qui transparaît dans sa trilogie autobiographique publiée aux éditions Don Quichotte : A voix basse (2009), D’une porte l’autre (2011) et Tant que battra mon cœur (2013).

« Dans mes chansons d’amour, je suis plus amoureux que je ne l’ai jamais été »

L’artiste y rappelle ses titres de docteur honoris causa de trois universités, sa grande médaille de l’Académie française. Il raconte aussi que lorsque l’Académie Charles Cros daigna, un peu tard, lui octroyer son grand prix, il refusa, plein d’orgueil, d’aller le chercher. Car Aznavour savait se montrer incisif. Il l’était ainsi avec les journalistes, qui le qualifiaient de « chanteur à bides » à ses débuts.
« Je connais ma valeur, disait-il. Mais je me garde de donner des conseils. De quel droit ? (…) Je dis surtout qu’il n’y a qu’une règle : le travail, l’apprentissage. Quand le métro est bondé, on entre en poussant. Eh bien les idées, c’est pareil ! Si ça rentre de force, on fait de meilleures choses. » De vraies paroles d’autodidacte.
Charles Aznavour se servait de ses chansons pour raconter des histoires. « On croit que c’est la mienne, mais je n’écris pas en fonction de ce que je vis, expliquait-il. Seule la feuille blanche me donne l’inspiration. Dans mes chansons d’amour, je suis plus amoureux que je ne l’ai jamais été. Une chanson d’amour doit être excessive. Si elle ne l’est pas, elle n’exprime rien. L’homme a la pudeur que le chanteur n’a pas. »
Sa vie romanesque s’est ancrée à tout jamais dans ses racines arméniennes. Son père, Micha, Arménien né en Géorgie, et sa mère, Knar, seule survivante d’une famille de commerçants arméniens de Turquie exterminée pendant le génocide, sont exilés. Il était chanteur et elle journaliste. Devenus apatrides, ils se trouvent à Paris avec leur fille aînée Aïda née en 1923, dans l’attente d’un visa pour les États-Unis. Ils ouvrent un restaurant, puis un café. Charles voit le jour à Paris, rue Monsieur-le-Prince, le 22 mai 1924. Il est Français. Ses parents le font baptiser catholique en 1925 et, enfant, il fréquente l’église Saint-Séverin. Il est le seul Français de la famille (ses parents ont essuyé un refus de naturalisation en 1928), mais les Aznavourian choisissent de s’enraciner à Paris.
Charles Aznavour, à l’Olympia, le 17 janvier 1963./AFP
Charles Aznavour, à l’Olympia, le 17 janvier 1963. / AFP
Pour l’état civil, à sa naissance, leur fils s’appelait Chahnour Vaghinag Aznavourian. Un nom vite transformé en Charles. À 9 ans, il fréquente l’école du spectacle de la rue du Cardinal-Lemoine, situé en face de l’établissement de son père. Et, dès l’âge de 11 ans, il incarne un Henri IV enfant très remarqué dans La reine Margot mise en scène par Édouard Bourde. Il débute au cinéma en 1938, apparaissant dans « Les disparus de Saint-Agil » de Christian-Jacque. Il a 19 ans, en pleine guerre, quand le groupe Manouchian, dont ses parents sont proches, est arrêté. Ces résistants de la première heure, immortalisés par « L’Affiche rouge », le poème d’Aragon et la chanson de Léo Ferré, sont fusillés. Mélinée, la femme du leader arménien, trouve refuge dans sa famille Aznavour qui l’hébergera un an. Un souvenir fort.
En 1946, alors qu’il se produit en duo avec le pianiste Pierre Roche, il est remarqué par Édith Piaf, que Roche et Aznavour accompagnent ensuite dans sa tournée avec les Compagnons de la chanson jusqu’en Amérique. Le duo se produit un an et demi dans un cabaret de Montréal, Au faisan doré. C’est le temps des premiers 78 tours. La notoriété viendra plus tard, qu’il recherche coûte que coûte. En 1955, il apparaît pour la première fois à la télévision française, chantant « Le palais de nos chimères ».

« Je m’voyais déjà »

L’année suivante, enfin, il trouve son premier public acquis à Casablanca, lors d’un récital où il est acclamé. Ce déclic le conduit jusqu’à l’Olympia, puis à l’Alhambra où il crée une chanson « non autobiographique », écrite pour Yves Montand qui l’avait refusée : « Je m’voyais déjà », en 1960. Le concert, par son étrange déroulement, est resté dans les annales : le public semble froid, la prestation a tout d’un bide retentissant. Humilié, prêt à tout laisser tomber, Aznavour revient saluer, tout de même, lorsque la salle se lève pour l’acclamer. L’échec se transforme en triomphe.
Les années suivantes verront se succéder ses principaux succès, parmi les chansons les plus célèbres du patrimoine francophone : « Tu t’laisse aller » (1960), « Il faut savoir » (1961) ou « Les comédiens » (1962). Puis d’autres incontournables : « La Mamma » et « Et Pourtant » (1963), « Hier encore », « For Me Formidable » ou « Que c’est triste Venise » (1964). Et encore l’une des chansons les plus connues au monde, « La Bohême » (1965), suivie de « Emmenez-moi » (1967) puis de « Désormais » (1969) ou de « Comme ils disent » (1972), l’une des premières chansons dans l’histoire à traiter de l’homosexualité comme d’un sujet sérieux et en 1974 « She », devenue un standard… américain.
Le cinéma l’invite et lui permet, grâce à son rôle dans Tirez sur le pianiste, de François Truffaut (1960) d’être connu aux États-Unis, où il triomphera en 1963 au Carnegie Hall de New York, en français mais aussi en anglais avec un fort accent, sur les traces de Maurice Chevalier. Il jouera dans Un taxi pour Tobrouk, Le Tambour, les Fantômes du Chapelier… Et dans Ararat, d’Atom Egoyan, film sur le génocide arménien.
Charles Aznavour (à droite) reçoit des mains de Michel Serrault un César d'honneur en hommage à son oeuvre, lors de la 22e Nuit des Césars./MICHEL GANGNE/AFP
Charles Aznavour (à droite) reçoit des mains de Michel Serrault un César d'honneur en hommage à son oeuvre, lors de la 22e Nuit des Césars. / MICHEL GANGNE/AFP
Au fil des années, il était devenu une institution, un ambassadeur inlassable de l’Arménie, une référence absolue pour les jeunes chanteurs, un homme d’affaires avisé dont la fortune était abritée dans une holding luxembourgeoise, et un chef de famille tolérant. « Je m’entends bien avec toutes les religions. Ma fille a été mariée à un juif, mon autre fille a épousé un musulman, ma femme est protestante, je suis grégorien et la femme de mon jeune fils est catholique. Tout ça vit en parfaite intelligence ! », disait-il.
Se vivait-il comme croyant ? « Je ne saurais le dire. Cela m’intrigue. Le doute est la première religion du monde. Alors je peux me permettre de douter. Le doute alimente l’intelligence. C’est une recherche. Je lis tout ce qui s’écrit sur après la vie.… » Pour se rassurer ou pour comprendre ? Les deux.
À l’heure du bilan, Charles Aznavour confiait : Une de mes chansons s’intitule Des amis des deux côtés. Des deux côtés : au ciel ou en enfer. Moi, je n’ai rien fait de mal dans ma vie. J’ai aidé les autres tant que j’ai pu, je n’ai jamais pris la place de quelqu’un, ni jamais rien volé, ni assassiné personne. Si Dieu existe, je ne pense pas qu’il me mettra du mauvais côté… ».
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Le siècle d’Aznavour

22 mai 1924 : Naissance à Paris de Chahnour Vaghinag Aznavourian
1938 : Figurant dans Les disparus de Saint-Agil
1946  : Se produisant en duo avec le pianiste Pierre Roche, il est remarqué par Édith Piaf, pour qui il travaillera 8 ans.
1960 : Je m’voyais déjà, premier grand succès, et Tirez sur le pianiste de François Truffaut
1961 : Un taxi pour Tobrouk de Denys de La Patellière
1965 : La Bohème, For me formidable, Emmenez-moi...
1969  : Désormais !
1972 : Comme ils disent
1974 : She
1976  : Mes emmerdes
1982 : Les fantômes du chapelier, de Claude Chabrol
1989 : Pour toi Arménie
2002 : Ararat d’Atom Egoyan
2005 : Publie ses mémoires, Le temps des avants.
2007 : Crée une holding de droit luxembourgeois pour gérer sa fortune.
2008 : Reçoit la citoyenneté arménienne.
2017 : Inaugure son étoile à Hollywood
2018 : Mort à 94 ans
Trois fois marié, père de six enfants, Charles Aznavour a écrit plus de 1300 chansons et en a enregistré plus de 1400, chanté en huit langues, vendu plus de 180 millions de disques et joué dans 60 films.
Jean-Yves Dana et Nathalie Lacube

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