« Jésus ! Jésus ! Où es-tu ? M’entends-tu encore ? Entends-tu ta pauvre
Maman qui crie, en ce moment, ton nom saint et béni, après l’avoir
gardé dans son cœur pendant tant d’heures ? Ton saint nom, qui a été mon
amour, l’amour de mes lèvres qui goûtaient une saveur de miel en disant
ton nom, de mes lèvres qui maintenant, au contraire, semblent en le
disant boire l’amertume restée sur tes lèvres, l’amertume de l’atroce
mixture… Ton nom, amour de mon cœur qui se gonflait de joie quand il le
prononçait, comme il s’était dilaté pour transvaser son sang,
t’accueillir et t’en revêtir quand tu es descendu du Ciel vers moi, si
petit, si minuscule, que tu aurais pu tenir dans le calice de la menthe
sauvage, toi qui es si grand, toi, le Puissant anéanti dans un germe
d’homme pour le salut du monde. Ton nom, douleur de mon cœur, maintenant
qu’il est arraché aux caresses de ta Maman pour te jeter dans les bras
des bourreaux qui t’ont torturé jusqu’à te faire mourir ! J’ai
le cœur brisé par ce nom que j’ai dû renfermer pendant tant d’heures et
dont le cri augmentait à mesure que croissait ta douleur, jusqu’à
l’abattre, comme s’il était foulé par le pied d’un géant. Oui, ma
douleur est gigantesque, elle m’écrase, elle me broie et il n’est rien
qui puisse la soulager. A qui dire ton nom ? Rien ne répond à mon cri.
Même si je hurlais jusqu’à fendre la pierre qui ferme ton tombeau, tu ne
l’entendrais pas, puisque tu es mort. Tu n’entends plus ta Maman ! Que
de fois ne t’ai-je pas appelé, pendant ces trente-quatre ans, ô mon
Fils ! Du moment où j’ai su que je devais être Mère, et que mon enfant
s’appellerait “ Jésus ! ”. Tu n’étais pas encore né que moi, en
caressant le sein où tu grandissais, je t’appelais doucement : “ Jésus !
” et il me semblait que tu remuais pour me répondre : “ Maman ! ”
Je te donnais déjà une voix, je la rêvais déjà. Je l’entendais avant
même qu’elle n’existe. Et quand je l’ai entendue, faible comme celle
d’un agneau qui vient de naître, qui tremblait dans la nuit froide
pendant laquelle tu es né, j’ai connu l’abîme de la joie… et je croyais
avoir connu l’abîme de la douleur parce que c’étaient les pleurs de mon
Enfant qui avait froid, qui était mal à l’aise, qui versait ses
premières larmes de Rédempteur. Or je n’avais pas de feu ni de berceau,
et je ne pouvais souffrir à ta place, Jésus. Je n’avais que mon sein
comme feu et oreiller, et mon amour pour t’adorer, mon saint Fils.
Je croyais avoir connu l’abîme de la douleur… ce n’en était que
l’aube. Maintenant, c’en est le midi. Ce n’en était que l’amorce,
maintenant c’en est le fond. C’est l’abîme ce que je touche maintenant,
après y être descendue au cours de ces trente-quatre années, bousculée
par tant d’aléas et prostrée, aujourd’hui, sur le fond horrible de ta
croix. Quand tu étais petit, je te berçais en chantonnant : “
Jésus ! Jésus ! ” Quelle harmonie plus sainte et plus belle que ce nom
qui fait sourire les anges au Ciel ? Pour moi, il était plus beau que le
chant, si doux, des anges dans la nuit de ta naissance. J’y voyais le
Ciel, c’était le Ciel entier que je contemplais à travers ce nom. Et
maintenant, en te le disant, à toi qui es mort et qui ne m’entends pas,
et ne me réponds pas, comme si tu n’avais jamais existé, je vois
l’Enfer, tout l’Enfer. Voilà : je comprends maintenant ce que veut dire
être damné. C’est ne plus pouvoir dire : “ Jésus ! ” Quelle horreur ! Combien
de temps durera cet enfer pour ta Maman ? Tu as dit : “ En trois jours,
je reconstruirai ce Temple. ” Je me répète cette parole toute la
journée, pour ne pas tomber morte, pour être prête à te saluer à ton
retour, et te servir encore… Mais comment pourrai-je te savoir mort,
pendant trois jours ? Trois jours dans la mort, toi, toi, ma vie ? (…)
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