mercredi 14 novembre 2018

Catherine Laborde : “La maladie ne nous enlève pas le droit d'être heureux”


agrandir Catherine Laborde : “La maladie ne nous enlève pas le droit d'être heureux”
© Éric Fougère


Vingt-huit ans durant, Catherine Laborde a présenté la météo sur TF1. Atteinte de la maladie de Parkinson, elle en parle dans un livre où la joie de vivre l'emporte sur le chagrin.

À propos de l'article

  • Créé le 13/11/2018
  • Publié par :Marie-Valentine Chaudon
  • Édité par :Sabine Harreau

Avec Trembler, paru le 11 octobre, le public a découvert que vous souffrez d'une maladie neurodégénérative. Pourquoi le révéler maintenant ?
Je pense que c'était le bon moment. Fin 2014, le médecin qui a posé le diagnostic de Parkinson m'avait conseillé de ne pas en parler. Il avait raison, j'avais besoin de rester active. J'ai continué à présenter la météo pendant deux ans avec cette maladie qui, au début, ne se voit pas. Quand j'ai compris que ce n'était plus possible, j'ai décidé d'arrêter, le 1er janvier 2017, sans en donner la raison. Malgré les médicaments et mon habitude de tenir ma main droite, qui tremble, avec la gauche, je voyais bien que la maladie gagnait du terrain et que je ne devais plus me cacher. Je savais aussi qu'en la révélant, j'allais quitter officiellement le camp des bien-portants pour celui des souffrants. Ce nouveau rapport au monde extérieur, déstabilisant, m'apporte aussi un soulagement. Je n'ai plus à me sentir gênée de ces transformations – les mots qui ne viennent pas toujours dans le bon ordre, ma lenteur, ma fatigue, etc.
Vous décrivez ces manifestations dans votre corps avec une grande précision : tremblements, douleurs, pertes de repères, etc. Pourquoi nous faire ainsi entrer dans l'intimité des symptômes ?
Je ne me suis pas posé la question de la pudeur. Je ne voulais pas de barrière entre le lecteur et moi. Il me fallait décrire précisément la vérité de mon expérience. Ce travail m'a permis d'y voir plus clair, de bien connaître mon ennemi pour mieux le combattre. Les symptômes sont particuliers à chacun. Il y a autant de façons de vivre la maladie que de patients. C'est un chemin terriblement personnel, que l'on affronte seul même si on se trouve bien entouré, comme dans mon cas. En dévoilant mon intimité, j'espère consoler les autres patients comme j'ai besoin d'être consolée de cette chose qui me prend ma vie. Je voudrais aussi leur dire que la maladie ne nous enlève pas le droit de vivre ni d'être heureux.
Vous adressez un message fort aux personnes qui souffrent…
Ce n'est pas simple mais, lorsque l'on tombe malade, je pense qu'il ne faut pas se cacher, ni se replier sur une inévitable solitude. Nous devons pouvoir parler de la maladie, elle fait partie de l'existence. Tant pis si je tremble ou si je me trompe de mot, je dois vivre ! J'essaie d'accepter ces changements, en moi-même mais aussi dans les rapports que j'entretiens avec ceux que j'aime. J'ai longtemps protégé mes deux filles qui, désormais jeunes adultes, veillent sur moi. Je redeviens la petite fille fragile que j'étais enfant… Ce nouveau cycle n'est pas évident à accepter et je le vis parfois avec beaucoup de détresse mais il en va ainsi.
Dans votre ouvrage, vous affublez votre maladie de différents noms – Parking, Prakison, Parki… – mais rarement du mot exact, pourquoi ?
Je veux la tenir à distance. Ne pas désigner la maladie par son nom exact, c'est une manière de lui déclarer la guerre. Dans l'écriture réside ma liberté, mais aussi mon arme. Elle m'a beaucoup aidée à regarder la pathologie comme une chose extérieure à laquelle je ne me réduis pas. Grâce à l'écriture, j'ai pu rester moi-même sans céder au désastre. En réalité, je souffre d'un syndrome parkinsonien et d'une maladie à corps de Lewy*, que la médecine a encore du mal à cerner et ne sait pas guérir.
Vous vous demandez pourquoi moi ? Où en êtes-vous avec cette question ?
Je ne me la pose plus, elle n'a plus de sens. Ce serait comme me demander « pourquoi la vie ? » En sortant de chez le médecin, abasourdie par le diagnostic, j'ai éclaté de rire. Cela peut paraître étrange mais j'ai trouvé une liberté que je ne m'étais pas accordée jusque-là. Bien sûr, j'aurais préféré ne jamais tomber malade, mais ce « Parking », ce « Paddington » m'a aussi apporté de belles choses. Comme, par exemple, ce cadeau de recevoir un jour un coup de téléphone de ma sœur Françoise, en larmes. Nous étions en froid depuis des années et elle venait d'apprendre ce qui m'arrivait. Aujourd'hui, nous nous revoyons. Nous sommes réconciliées et très heureuses de l'être. La maladie ne représente pas que du malheur…
Qu'est-ce qui vous rend heureuse ?
Le grand amour de mes proches, mes enfants, mon mari. Je reçois aussi de nombreuses marques d'affection et de sympathie depuis la sortie du livre. J'aimerais répondre à toutes les lettres mais ma main me trahit, ce qui me peine beaucoup. Mon écriture produit comme des griffes de chat sur le papier et je n'arrive pas à me résoudre à l'anonymat de l'ordinateur. L'autre jour, je me trouvais dans un parc près de chez moi. Une dame est venue vers moi et m'a embrassée avec beaucoup de tendresse en me disant : « Merci, vous avez beaucoup de courage. » Il se passe tant de choses dans ces rencontres et dans le courrier que je reçois, comme des étincelles de grande humanité.
La maladie a pourtant modifié votre quotidien. Comment apprivoisez-vous ces changements ?
J'apprends la lenteur, caractéristique de la pathologie. Je prends le temps, comme je ne l'avais jamais fait auparavant. Je vais marcher dans les jardins du Palais-Royal, pas très loin de chez moi. Ce lieu est si beau ! Je regarde les nuages, je me laisse aller à mes rêveries. Je lis beaucoup. Je me ressource auprès de Pascal, Montaigne, Quignard, Sollers… J'ai découvert François Nourrissier. Lui aussi avait Parkinson et, dans ses livres, lui donnait des surnoms, comme Miss P. J'ai surtout la chance de pouvoir compter sur mes proches, mes filles qui se relaient auprès de moi et mon mari, Thomas. Ensemble, nous rêvons de monter une association pour accompagner les aidants. Une façon de donner, si ce n'est du sens, au moins un prolongement à ce qui nous arrive.
Restez-vous en guerre contre Parkinson ?
Oui, toujours, même si je connais quelques défaites. Mon univers s'est rétréci, marqué par cette fragilité, cette peur constante de tomber, cette mémoire capricieuse… Mais je ne veux pas me résigner. Je résiste à ma manière, en ne renonçant pas à la vie et à ses moments de joie.

* Démence souvent liée à Parkinson, affectant les fonctions cognitives et les mouvements.



Biographie
1951 Naissance à Bordeaux.
1988 Première météo sur TF1.
FIN 2014 Diagnostic de Parkinson.
1er JANVIER 2017 Dernière météo.
OCTOBRE 2018 Sortie de Trembler, Éd. Plon, 160 p. ; 16,90 €.


En aparté
C'est une silhouette familière qui m'ouvre la porte. Pendant vingt-huit ans, Catherine Laborde a fait partie du quotidien des Français, en leur livrant chaque soir les prévisions météorologiques pour le lendemain. Elle a les mêmes traits doux qu'à la télévision, la même chaleur dans la voix. Il pleut ce matin-là sur Paris lorsque je la rencontre dans son appartement, à deux pas de l'Opéra. Depuis la parution de Trembler, elle enchaîne les interviews et reçoit de toutes parts des messages des lecteurs, touchés par son témoignage. « Je ne m'attendais pas à un tel écho, confie-t-elle. Cela m'apporte beaucoup de joie. Non pas que ma parole soit importante en soi, mais je suis heureuse qu'on parle de la maladie, elle fait partie de la vie. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire