« Il y a levain et levain : celui du bien et celui du mal. Le
levain du mal, ce poison satanique, fermente plus facilement que celui
du bien, car il trouve une matière plus adaptée à son action dans le
cœur de l’homme, dans sa pensée, dans sa chair, qui sont séduits tous
les trois par une volonté égoïste, donc contraire à la volonté
universelle, qui est celle de Dieu.
La volonté de Dieu est
universelle car elle ne s’arrête jamais à une pensée personnelle : elle
considère le bien de l’univers entier. Rien ne peut augmenter la
perfection de Dieu d’aucune façon, car il a toujours parfaitement
possédé tout ce qui existe. Par conséquent, il ne peut exister en lui de
pensée d’intérêt propre pour mettre en œuvre quelque action que ce
soit.
Quand on dit qu’on fait tel geste pour la plus grande
gloire de Dieu, dans l’intérêt de Dieu, ce n’est pas que la gloire
divine soit en elle-même susceptible de grandir, mais parce que tout ce
qui se trouve dans la création porte une empreinte de bien et que toute
personne qui accomplit le bien — et par conséquent mérite de le posséder
— se pare du signe de la gloire divine. Elle rend ainsi gloire à la
Gloire elle-même qui a glorieusement tout créé. C’est un témoignage, en
somme, que personnes et choses rendent à Dieu en attestant par leurs
œuvres l’Origine parfaite dont elles proviennent.
Il s’ensuit
que, lorsque Dieu vous ordonne, vous conseille ou vous inspire une
action, il n’est pas poussé par quelque intérêt égoïste, mais par une
pensée altruiste, charitable, pour votre bien-être. Voilà pourquoi la
volonté de Dieu n’est jamais égoïste, mais au contraire toute tournée
vers l’altruisme, vers l’universalité. Elle est l’unique et vraie force
du monde entier qui ait en vue le bien universel.
Le levain du
bien, germe spirituel venu de Dieu, trouve au contraire dans sa
croissance beaucoup d’oppositions et de difficultés ; il a beaucoup de
mal à se développer, car il a contre lui les réactions favorables à
l’autre levain : la chair, le cœur et la pensée de l’homme, envahis par
un égoïsme, l’antithèse du bien, qui, lui, par son origine, ne peut être
qu’Amour. Chez la plupart des hommes, la volonté du bien fait défaut ;
c’est pourquoi il devient stérile et meurt, ou alors, il vit avec tant
de mal qu’il ne lève pas : il stagne. Il n’y a pas de faute grave, mais
il n’y a pas non plus d’effort pour faire mieux : l’esprit gît, inerte,
non pas mort, mais infécond.
Faites attention à ceci : ne pas
commettre le mal ne sert qu’à éviter l’enfer. Pour jouir tout de suite
du beau paradis, il faut absolument faire le bien, dans la mesure où
l’on y parvient, en luttant contre soi-même et contre les autres. C’est
pour cette raison que j’ai dit que j’étais venu mettre la guerre et non
pas la paix entre père et enfants, entre frères et sœurs, quand cette
guerre devait défendre la volonté de Dieu et sa Loi contre les
oppositions des volontés humaines tournées dans des directions
contraires à ce que veut Dieu.
En
Zachée, la petite poignée de levain du bien avait produit une grande
fermentation. A l’origine, seules quelques bribes étaient tombées dans
son cœur : on lui avait rapporté mon discours de la Montagne, d’ailleurs
incorrectement et certainement mutilé en grande partie, comme c’est
souvent le cas.
Zachée était publicain et pécheur, mais non
par mauvaise volonté. Il était comme un homme qu’un voile de cataracte
sur les pupilles empêche de bien voir. Mais il sait que l’œil, dégagé de
ce voile, retrouve une bonne vue et ce malade désire qu’on le lui
enlève. C’était le cas de Zachée. Il n’était ni convaincu ni heureux :
pas convaincu des pratiques pharisaïques qui désormais avaient remplacé
la vraie Loi, et pas heureux de sa manière de vivre.
Il
cherchait instinctivement la lumière, la vraie Lumière. Il en a reconnu
une étincelle dans ce fragment de discours et il l’a enfermée dans son
cœur comme un trésor. Parce qu’il l’aimait — remarque bien cela, Maria :
parce qu’il l’aimait —, cette étincelle devint de plus en plus vive,
intense, éblouissante, et l’amena à discerner nettement le bien et le
mal, et à choisir avec sagesse, en coupant généreusement les tentacules
qui auparavant — des richesses au cœur, et du cœur aux richesses — le
retenaient emprisonné dans un filet qui l’avait sournoisement réduit en
esclavage.
“ Parce qu’il l’aimait ” : voilà le secret du
succès, grand ou moindre. On réussit quand on aime. On ne réussit que
peu quand on aime chichement. On échoue quand on n’aime pas. C’est vrai
dans tous les domaines, donc à plus forte raison dans les choses de Dieu
où, bien que Dieu soit invisible aux sens corporels, il faut avoir un
amour, j’ose dire parfait — dans la mesure où une créature peut
atteindre la perfection — pour réussir dans une entreprise, et, ici,
dans la sainteté.
Zachée, dégoûté du monde et de la chair,
comme il était dégoûté du caractère mesquin des pratiques pharisaïques
si habiles à couper les cheveux en quatre, intransigeantes pour les
autres, trop complaisantes pour eux-mêmes, a aimé ce petit trésor que
fut l’une de mes paroles, arrivée à lui par pur hasard, humainement
parlant. Il l’a aimée comme la plus belle richesse que sa vie de
quarante années ait possédée. Dès lors, il a centré son cœur et sa
pensée sur ce point.
Le cœur de l’homme est là où se trouve
son trésor ; cela ne concerne pas seulement le mal, mais aussi le bien.
Le cœur des saints n’était-il pas, au cours de leur vie, là où était
Dieu — leur trésor — ? Si. Et c’est pour cela qu’en regardant Dieu seul,
ils surent passer sur la terre sans y corrompre leur âme dans la boue.
Si
je n’étais pas arrivé, ce matin-là, j’aurais tout de même fait un
prosélyte, car la conversation du lépreux avait parachevé la
métamorphose de Zachée. A son comptoir de collecteur d’impôts, il
n’était plus le publicain fraudeur et vicieux d’avant, mais l’homme qui
se repentait de son passé et qui avait décidé de changer de vie. Si je
n’avais pas paru à Jéricho, il aurait fermé son comptoir, pris son
argent, et serait parti à ma recherche, car il ne pouvait demeurer sans
l’eau de la vérité, sans le pain de l’amour, sans le baiser du pardon.
Cela, les censeurs habituels qui m’observaient pour me faire
d’incessants reproches ne le voyaient pas et le comprenaient encore
moins. C’est pourquoi ils s’étonnaient que je mange avec un pécheur. Ah !
si vous ne jugiez jamais, si vous en laissiez la charge à Dieu, pauvres
aveugles que vous êtes, incapables de vous juger vous-mêmes !
Je ne suis jamais allé avec les pécheurs pour approuver leur péché.
J’allais les soustraire au péché, souvent parce qu’à ce moment, ils
n’avaient plus que l’extérieur du péché : leur âme contrite était déjà
changée en une âme vivante, nouvelle, décidée à expier. Dans ce cas,
est-ce que j’étais avec un pécheur ? Non : avec un racheté qui avait
uniquement besoin d’être guidé pour se diriger dans sa faiblesse de
ressuscité.
Combien
de choses peut vous apprendre l’épisode de Zachée ! La puissance de
l’intention droite qui suscite le désir, le vrai désir qui pousse à
chercher une connaissance toujours plus grande du bien et à chercher
Dieu continuellement jusqu’à ce qu’on l’ait trouvé, un réel repentir qui
donne le courage du renoncement. Zachée avait l’intention sincère
d’écouter des paroles de vraie Doctrine. Comme il en avait déjà entendu
certaines, la droiture de son désir le pousse à un plus grand désir et
donc à une recherche continuelle de cette Doctrine. La recherche de
Dieu, caché dans la vraie Doctrine, le détache des idoles mesquines de
l’argent et de la volupté et en fait un héros du renoncement.
“ Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et suis-moi ”,
ai-je dit au jeune homme riche. Ce que lui n’a pas su faire, Zachée,
bien que plus endurci dans l’avarice et la jouissance, le fait. Car à
travers le peu de paroles qui lui avaient été rapportées, comme le
mendiant aveugle et le lépreux que j’avais guéris, il avait vu Dieu.
Est-ce qu’une âme qui a vu Dieu pourrait trouver quelque attirance
pour les pauvres plaisirs de la terre ? Le peut-elle donc, ma petite
épouse ? »
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