En
ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi
! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une
graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi
et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. Lequel d’entre
vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à
son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui
dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me
servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à
ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir
exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout
ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs :
nous n’avons fait que notre devoir’ »
La
journée est terminée, la nuit va tomber - elle tombe très vite en
Israël - l'ouvrier agricole revient des champs, les jambes lasses.
Va-t-il s'asseoir un instant, souffler un peu avant le repos de la nuit ?
Non ! le temps de changer de tablier, et le voilà à la cuisine pour
préparer le repas de son maître. Quand on est serviteur, on l'est du
matin au soir...
Est-ce
que Jésus présente comme un modèle ces coutumes sociales qui étaient
courantes de son temps ? Veut-il nous inculquer l'idée d'un Dieu-patron,
insensible à la peine que nous prenons pour lui ? Sûrement pas ! Il a
même souligné à plusieurs reprises qu'il comptait bien, quant à lui,
inverser les rôles :
"Vous
devez être semblables, dit-il, à des hommes qui attendent leur maître
lorsqu'il revient des noces, afin de lui ouvrir dès qu'il viendra et
frappera. Bienheureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée,
trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le dis : il mettra le
tablier, les fera mettre à table, et, s'approchant, il les servira" (Lc
12,36s).
Et
Jésus ajoutait : "Je suis parmi vous comme celui qui sert". C'est même
l'un des derniers souvenirs qu'il ait voulu laisser de lui à ses
disciples, puisque, la veille de mourir, il est passé parmi eux, avec un
linge et un bassin, pour leur laver les pieds.
La
pensée de Jésus est donc bien claire : il n'est pas question d'enfermer
les serviteurs dans un fatalisme désespérant, et encore moins de
considérer comme normales ces journées de dix-sept ou dix-huit heures
qui sont encore le lot de tant d'hommes de par le monde, et chez
nous-mêmes, le lot de tant de mères de famille.
Alors,
où Jésus veut-il en venir ? Il veut simplement, à travers ce paradoxe,
nous faire comprendre que vis-à-vis de Dieu qui nous a tout donné, nous
n'avons pas de droits à faire valoir. Tout notre temps lui appartient
d'avance, toutes nos forces doivent être tendues vers l'avènement de son
règne d'amour, et c'est lui-même qui se réserve de nous donner le
repos.
Au
service des hommes et de la société humaine, il existe des congés payés
; au service de Dieu, il n'y aura pas de congés, et Dieu nous paiera à
sa manière, comme il le voudra et quand il le voudra. Ce qui est
certain, c'est qu'il fera bonne mesure; mais cela, c'est son affaire à
lui.
D'instinct,
nous serions prompts à nous récrier : "Quelle exigence !" Mais Jésus
d'avance nous répond : "C'est une question de foi !". Si nous
envisageons, dans la foi, cette vie de service, non pas comme la corvée
d'un tâcheron, mais comme l'existence d'un fils dans la maison du Père,
nous ne serons arrêtés ni par la crainte de manquer de forces, ni par
l'ampleur démesurée de la mission que Dieu nous offre : "La foi, si vous
en aviez seulement gros comme une graine de moutarde, vous diriez au
sycomore que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer'. Il
vous obéirait".
Certaines
tâches, qui apparaissent, à vues humaines, comme impossibles ou très
aléatoires, sont perçues en même temps comme urgentes pour le service du
Père. Certains déracinements qui, dans un premier temps, semblent
défier la sagesse et la prudence, s'avèrent des coups d'audace que le
Père attendait de ses fils. Et il est des moments, dans notre existence
de serviteurs, où nous nous sentons aussi démunis, aussi dépaysés, aussi
désécurisés qu'un vieux sycomore planté dans la houle. Et pourtant,
Dieu aidant, les fruits viendront.
Car
le Seigneur, même sans se montrer, continue de parler à son peuple et à
chacun des croyants que nous sommes, et sa voix jour après jour vient
nous rappeler sa promesse, cette promesse paternelle qui un jour nous a
mis en route : "Elle se réalisera, répète Habaqquq, mais seulement au
temps fixé. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra
certainement, à son heure".
En attendant, ce qui fait vivre, c'est la fidélité.
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